Enquête sur une plainte à propos d’une réunion à huis clos tenue par le Comté de Norfolk le 28 janvier 2020
Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
mars 2021
Plainte
1 Mon Bureau a reçu une plainte alléguant que le Comité du budget (le « comité ») du Comté de Norfolk (le « Comté ») avait tenu une réunion à huis clos le 28 janvier 2020 qui ne relevait pas des exceptions relatives aux réunions à huis clos, prévues par la Loi de 2001 sur les municipalités[1] (la « Loi »). La plainte alléguait que le comité avait discuté de points liés au budget de fonctionnement provenant des redevances municipales du Comté pour 2020, en violation de la Loi.
Compétence de l’Ombudsman
2 En vertu de la Loi sur les municipalités, toutes les réunions d'un conseil municipal, d'un conseil local et des comités de l'un ou de l'autre doivent se tenir en public, à moins de relever des exceptions prescrites.
3 Depuis le 1er janvier 2008, la Loi accorde aux citoyens le droit de demander une enquête visant à déterminer si une municipalité a respecté la Loi en se réunissant à huis clos. Les municipalités peuvent nommer leur propre enquêteur. La Loi fait de l'Ombudsman l'enquêteur par défaut pour les municipalités qui n'ont pas désigné le leur.
4 L'Ombudsman est l'enquêteur des réunions à huis clos pour le Comté de Norfolk.
5 Quand nous examinons des plaintes sur des réunions à huis clos, nous cherchons à déterminer si les exigences de la Loi en matière de réunions publiques, et les procédures de gouvernance de la municipalité, ont été respectées.
6 Depuis 2008, notre Bureau a enquêté sur des centaines de réunions à huis clos. Pour aider les conseils municipaux, le personnel municipal et le public, nous avons créé un recueil en ligne des cas de réunions publiques. Nous avons rédigé ce recueil interrogeable pour permettre aux intéressés d'accéder facilement aux décisions de l'Ombudsman et à ses interprétations des règles des réunions publiques. Les membres du conseil et le personnel peuvent consulter ce recueil pour éclairer leurs discussions et leurs décisions afin de déterminer si certaines questions devraient ou pourraient être discutées à huis clos, ainsi que leurs débats sur des questions de procédure des réunions publiques. Des résumés des décisions antérieures de l'Ombudsman sont consultables dans ce recueil à : https://www.ombudsman.on.ca/digest/recueil-de-cas-reunions-municipales-accueil.
Processus d’enquête
7 Le 12 mars 2020, nous avons informé le Comté que nous avions l’intention d’enquêter sur la réunion du 28 janvier 2020.
8 Les membres de l’équipe des réunions publiques de mon Bureau ont examiné les extraits pertinents des règlements et des politiques du Comté, ainsi que de la Loi. Nous avons étudié la documentation de la réunion. Nous avons également fait des entrevues avec les membres du conseil et la greffière.
9 Mon Bureau a obtenu une complète collaboration dans cette affaire.
Procédures du conseil
10 Le règlement de procédure du Comté stipule qu’aucune réunion ne peut être close si ce n’est conformément à la Loi.
11 Le Comité du budget est composé de tous les membres du conseil. Le paragraphe 238 (1) de la Loi définit ainsi le terme « comité » : « Comité ou sous-comité consultatif ou autre, ou une entité similaire, dont au moins 50 pour cent des membres sont également membres d’un ou de plusieurs conseils municipaux ou conseils locaux. » Par conséquent, le Comité du budget est un comité du conseil en vertu de la Loi, et ses réunions doivent être conformes aux exigences de la Loi en matière de réunions publiques.
Contexte
12 Le comité s’est réuni le 28 janvier 2020 pour examiner le budget de fonctionnement de 2020, financé par les redevances municipales (le « budget »). Le budget détermine le montant des taxes municipales à percevoir pour financer les services municipaux.
13 Les membres du conseil nous ont dit que le processus budgétaire de 2020 était difficile en raison d’un déficit important. Ils nous ont également fait savoir que des employés municipaux s’inquiétaient de la sécurité de leur emploi.
14 Dans le cadre du processus de budgétisation, le personnel a présenté plusieurs options à l’examen du comité pour modifier ou réduire les niveaux de services municipaux. Ces options étaient décrites dans un rapport confidentiel du personnel, remis au comité à huis clos le 28 janvier.
15 Selon le procès-verbal de la réunion, le comité s’est retiré à huis clos pour discuter de neuf points en vertu des exceptions des « relations de travail », des « renseignements privés » et de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds ». Le comité a adopté la résolution suivante :
QUE le comité se retire à huis clos à 11 h 09 pour discuter des Options 2 à 10 de la séance à huis clos, telles que décrites à la page 2-1 du budget de 2020:
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2. Administration du Programme Ontario au travail, Partage des coûts provinciaux
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3. Initiative de restructuration des services généraux
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4. Restructuration du parc automobile
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5. Regroupement des arénas de hockey
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6. Repositionnement des services de tourisme et de développement économique
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7. Regroupement des musées
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8. Modification du modèle de prestation des services du marché des fermiers de Simcoe
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9. Changements d’effectifs au bureau du DG
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10. Monétisation de terrains
En vertu des alinéas 239 (2) b, d et c de la Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, étant donné que le sujet discuté porte sur des renseignements privés de personnes identifiables, y compris d’employés de la municipalité ou du conseil local, des relations de travail ou des négociations avec les employés, l’acquisition ou la disposition projetée ou en cours d’un bien-fonds par la municipalité ou un conseil local.
16 Selon la greffière, les exceptions des relations de travail et des renseignements privés s’appliquaient aux huit premiers points énumérés dans la résolution, et l’exception de l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds s’appliquait au dernier point énuméré dans la résolution.
17 Nous avons été informés que le comité avait examiné chaque point séparément durant la séance à huis clos. Des membres du personnel étaient présents pour répondre aux questions et pour donner des renseignements au comité.
18 Les huit premiers points visaient à réduire les niveaux de service par le regroupement de ressources municipales et la réduction de postes de personnel. Nous avons été informés que les propositions avancées par le personnel auraient des répercussions sur plusieurs installations et services de l’administration municipale. Le nombre d’employés dans ces installations et services est petit. Le comité a discuté de postes particuliers de membres du personnel, qui ont été identifiés par leur rôle, et les employés personnellement concernés par les propositions étaient donc facilement identifiables. Dans certains cas, des employés ont été identifiés individuellement par leur nom et leurs fonctions ont été discutées. Nous avons également été informés que le comité avait discuté des répercussions que les propositions pourraient avoir sur les relations de travail, notamment sur les négociations et les droits de supplantation.
19 Le dernier point concernait une proposition du personnel visant à vendre des terrains détenus par le Comté afin de mobiliser des capitaux. Le personnel a proposé au comité de déclarer excédentaires 143 acres de terrains appartenant au Comté et de les vendre sur une période de trois ans. Les membres du conseil nous ont dit que le personnel avait demandé des conseils au comité en vue d’explorer la proposition plus avant. Les terrains ont généralement été identifiés comme des terrains vacants et des parcs situés dans le Comté. De plus, le comité a déterminé un prix-cible par acre de terrain.
Applicabilité de l’exception des « relations de travail »
20 Le comité a cité l’alinéa 239 (2) d), soit l’exception pour les relations de travail, pour se retirer à huis clos le 28 janvier 2020. La greffière nous a dit que l’exception s’appliquait aux sujets de discussion suivants : Administration du Programme Ontario au travail, Partage des coûts provinciaux; Initiative de restructuration des services généraux; Restructuration du parc automobile; Regroupement des arénas de hockey; Repositionnement des services de tourisme et de développement économique; Regroupement des musées; Modification du modèle de prestation des services du marché des fermiers de Simcoe; Changements d’effectifs au bureau du DG.
21 L’exception des « relations de travail ou négociations avec les employés » est de protéger les discussions à propos des relations entre une municipalité et ses employés.
22 En général, l’exception des « relations de travail » ne s’applique pas aux discussions sur un examen organisationnel ou une restructuration par une municipalité. Toutefois, mon Bureau a conclu que l’exception peut s’appliquer aux discussions sur une réorganisation, celle-ci pouvant avoir des répercussions personnelles sur les employés et sur leurs rôles[2].
23 Par exemple, dans un rapport à la Ville de Georgina, mon Bureau a conclu qu’une discussion à huis clos sur un examen organisationnel des services de l’administration municipale relevait de l’exception des « relations de travail »[3]. Dans ce cas, la discussion du conseil sur l’examen organisationnel portait entre autres sur le rendement individuel d’employés par rapport aux options de restructuration présentées par le personnel municipal.
24 Dans le cas actuel, le comité a examiné huit points en vertu de l’exception des « relations de travail ». La discussion à huis clos s’est concentrée sur les propositions visant à réduire les services municipaux en supprimant des postes de personnel dans divers départements et secteurs de l’administration municipale. La discussion a porté sur des employés pris individuellement, et nommés, ainsi que sur des employés éventuellement identifiables en raison du petit nombre d’employés dans les services réorganisés.
25 Les membres du conseil nous ont dit que la nature de la discussion aurait indiqué clairement quels membres du personnel seraient éliminés en raison de la réorganisation. La discussion du comité a également fait référence à des employés identifiés par leur nom ou par leur poste. Comme mentionné plus haut, les discussions sur les examens organisationnels ne relèvent généralement pas de l’exception des « relations de travail ». Cependant, dans ce cas, les discussions du comité ont fait référence à des employés identifiables et à leurs rôles.
26 En outre, certains des postes dont l’élimination était proposée étaient syndiqués et la discussion à huis clos a porté sur les conséquences de la suppression de ces postes sur les relations de travail. Par exemple, le comité a examiné les négociations avec le syndicat et les droits de supplantation.
27 Par conséquent, la discussion à huis clos du conseil relevait de l’exception des « relations de travail ».
Applicabilité de l’exception des « renseignements privés »
28 Le comité a cité l’alinéa 239 (2) b), soit l’exception pour les renseignements privés, quand il s’est réuni à huis clos afin de discuter des sujets suivants : Administration du Programme Ontario au travail, Partage des coûts provinciaux; Initiative de restructuration des services généraux; Restructuration du parc automobile; Regroupement des arénas de hockey; Repositionnement des services de tourisme et de développement économique; Regroupement des musées; Modification du modèle de prestation des services du marché des fermiers de Simcoe; Changements d’effectifs au bureau du DG.
29 La Loi ne définit pas les « renseignements privés » au sens de l’article 239 de la Loi sur les municipalités. Toutefois, en examinant les paramètres des exceptions aux réunions publiques, notre Bureau a souvent pris en considération la jurisprudence du Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée (CIPVP). Bien que ces cas ne soient pas contraignants pour notre Bureau, ils peuvent s’avérer instructifs. Le CIPVP a conclu que les renseignements ne peuvent être considérés comme des renseignements privés aux fins de la Loi que s’ils concernent quelqu’un à titre personnel, plutôt qu’à titre professionnel. Toutefois, des renseignements concernant une personne à titre professionnel peuvent être pris en considération s’ils révèlent quelque chose de personnel à propos d’elle, comme des renseignements sur ses rendements professionnels[4]. Mon Bureau a systématiquement conclu que les discussions sur les antécédents professionnels et les qualifications d’une personne identifiable en vue d’un emploi particulier relevaient de l’exception des « renseignements privés »[5].
30 Dans ce cas, la discussion du comité a largement porté sur des licenciements d’employés. Dans certains cas, les employés ont été identifiés par leur nom; mais le plus souvent, les employés ont été identifiés par leur poste et la discussion a visé des services comptant un petit nombre d’employés. Nous avons été informés que, si la discussion du comité s’était déroulée en public, ces employés auraient été facilement identifiables. Ces parties de la discussion du comité relevaient de l’exception des « renseignements privés ».
Applicabilité de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds »
31 Le comité a cité l’alinéa 239 (2) c), soit l’exception de l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds, pour se réunir à huis clos afin de discuter du sujet de la « monétisation de terrains ».
32 L’objectif de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds » est de protéger la position de négociation d’une municipalité en autorisant les discussions à huis clos sur l’acquisition ou la disposition projetée ou en cours d’un bien-fonds par la municipalité.
33 L’exception ne s’applique pas aux discussions qui comportent des hypothèses à propos d’une transaction foncière, ni aux discussions sur des transactions foncières qui pourraient avoir lieu ou non à l’avenir. Les discussions doit doivent sur une transaction foncière concrète, actuellement en cours ou projetée[6].
34 Le comité a discuté d’options pour mobiliser des capitaux par la vente de 143 acres de terrain appartenant à la municipalité, sur une période de trois ans. Le personnel a identifié les terrains comme étant des terrains vacants et des parcs. Le plan de disposition des biens-fonds était préliminaire, mais la discussion du comité a inclus la détermination d’un prix-cible par acre pour les terrains. Bien qu’il n’y ait pas eu de transaction foncière en cours, la disposition de certains terrains a été proposée et un prix-cible par acre a été déterminé. Je suis convaincu que dans ces circonstances le Comté avait une position de négociation à protéger. Si la discussion s’était déroulée en public, la position de négociation du Comté quant à la disposition des terrains identifiés aurait pu être compromise.
35 Par conséquent, la discussion relevait de l’exception de « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds ».
Questions de procédure : Résolution de se retirer à huis clos
36 Le comité a cité trois exceptions relatives aux réunions à huis clos dans la résolution de se retirer à huis clos afin de discuter de huit points : « renseignements privés », « relations de travail » et « l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds ». La résolution ne précisait pas quelle exception des réunions à huis clos s’appliquait à quel sujet discuté à huis clos.
37 Bien que la Loi n’exige pas qu’un organisme indique précisément quelle exception il compte invoquer pour chaque sujet discuté à huis clos, le Comté devrait adopter cette pratique à titre de pratique exemplaire.
Opinion
38 Le Comité du budget du Comté de Norfolk n’a pas enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités le 28 janvier 2020 quand il a examiné les sujets suivants en séance à huis clos : Administration du Programme Ontario au travail, Partage des coûts provinciaux; Initiative de restructuration des services généraux; Restructuration du parc automobile; Regroupement des arénas de hockey; Repositionnement des services de tourisme et de développement économique; Regroupement des musées; Modification du modèle de prestation des services du marché des fermiers de Simcoe; Changements d’effectifs au bureau du DG.
39 Le Comité du budget n’a pas enfreint la Loi de 2001 sur les municipalités quand il a discuté de la « monétisation de terrains » en séance à huis clos en vertu de l’exception invoquée pour l’acquisition ou la disposition d’un bien-fonds.
Rapport
40 Le Comté de Norfolk a eu la possibilité d’examiner une version préliminaire de ce rapport et de la commenter. Nous n’avons reçu aucun commentaire.
41 Mon rapport devrait être remis au conseil du Comté de Norfolk. Le Comté a accepté de communiquer mon rapport lors de la prochaine réunion du conseil.
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Paul Dubé
Ombudsman de l’Ontario
[1] LO 2001, chap. 25.
[2] Ombudsman de l'Ontario, Enquête sur une plainte à propos d’une réunion du Conseil de la Ville de Sault Ste. Marie le 13 octobre 2015, (août 2016), en ligne; et Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville d’Amherstburg (9 décembre 2013), en ligne.
[3] Lettre de l’Ombudsman de l’Ontario à la Ville de Georgina (23 novembre 2017), en ligne.
[4] Ce lien s'ouvre dans un nouvel ongletAylmer (Town) (Re), 2007 CanLII 30462 (ON IPC), en ligne.
[5] Ombudsman de l'Ontario, Enquête visant à déterminer si les Conseils du Canton d’Armour et du Village de Burk’s Falls ont tenu des réunions à huis clos illégales le 16 janvier 2015, (octobre 2015), en ligne.
[6] Ombudsman de l'Ontario, Enquête visant à déterminer si les Conseils du Canton d’Armour et du Village de Burk’s Falls ont tenu des réunions à huis clos illégales le 16 janvier 2015, (octobre 2015), en ligne.